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1 décembre 2008 1 01 /12 /décembre /2008 21:46

Policiers, gendarmes, douaniers... réinventent de nouvelles formes de racket

Policiers, gendarmes, douaniers réinventent de nouvelles formes de racket

592 Kms de route bitumée. Près de dix heures d’horloge dont le tiers perdu dans des escales artificielles sur 19 barrages de policiers, de gendarmes, de douaniers et d’agents des Eaux et forêts.

Dimanche 23 novembre 2008. Il est 7 H 40 à la nouvelle gare d’Adjamé. Dans le car de 50 places où nous avons pris place, les deux tiers des passagers sont des femmes, « des commerçantes », explique un responsable du Groupement des transporteurs de l’Indénié (GTI), l’une des quatre compagnies qui desservent Séguéla à partir d’Abidjan. Quinze minutes plus tôt, un apprenti-chauffeur avait tenté de contrôler les pièces d’identité des passagers, mais l’initiative a été contrariée du fait des déplacements incessants dans le car. L’ambiance ce matin est bon enfant. Un chauffeur qui approche la quarantaine, des passagères joyeuses, un apprenti-chauffeur qui cherche, dans la boîte à gant, trouve une cassette du mythique groupe malinké "Zagazougou" et la met dans le poste auto qui se met à distiller un air enjoué.

A la sortie d’Abidjan, ce matin, le contrôle au corridor de Gesco qui ressemble à un camp de concentration partiellement abandonné, n’est pas sévère.

« Ils ne sont pas encore djahouli », fait savoir un aboyeur du corridor. Traduction : les Forces de l’ordre et de sécurité, ainsi que les douaniers et agents des Eaux et forêts n’ont pas encore éprouvé le besoin de racketter. C’est en Nouchi qu’il parle, un argot bien abidjanais.

Au barrage d’Attinguié, le chauffeur ne se donne pas la peine de ralentir comme par le passé. Les agents qui sont là, comme en embuscade, ne regardent même pas le car. Depuis que l’état-major des Forces de défense et de sécurité a lancé l’opération de lutte contre le racket sur les routes, certains agents gardent le profil bas.

 

Cotisations pour les douaniers

A PK 52, une sexagénaire souriante se lève et lance un appel à la cotisation dans le car. Les passagères semblent être habituées à cette pratique. Elles s’exécutent, sans broncher. « C’est pour les douaniers », nous fait-elle savoir en nous tendant la main et en montrant une facture normalisée de ses marchandises. Nous lui faisons comprendre que nous ne voyageons avec aucune marchandise douteuse. Elle n’insiste pas et va reprendre sa place pour regarder un camion d’oignons de 10 tonnes, renversé sur le bas côté de l’autoroute. « Eh Allah ! », implore-t-elle avant de se pencher vers sa voisine, pour partager avec elle de l’igname bouillie achetée à la gare à des vendeuses ambulantes.

A Elibu, l’apprenti-chauffeur, qui passait jusque-là son temps à changer les cassettes, lance à son patron : « Il faut qu’on gère les douaniers. L’autre jour, ils nous ont perdu le temps pendant deux heures ». Le chauffeur acquiesce. L’apprenti-chauffeur descend du car et court rapidement vers les douaniers. L’agent qui reçoit ce dernier se fend d’un large sourire et fait signe au car de passer. La halte dure quelques minutes seulement pendant lesquelles un gendarme monte dans le car pour procéder à des contrôles d’identité.

Au corridor de N’Zianouan, à quelques kilomètres de la fin de l’autoroute, le car est immobilisé pendant un quart d’heure. Quatre passagers sont interpellés par les FDS. Ils n’avaient pas de carte nationale d’identité, ni d’attestation d’identité. L’un d’entre eux est un élève qui a une carte scolaire que ne reconnaît pas l’agent chargé du contrôle des identités. L’élève, après avoir parlementé un instant avec le chef de poste, revient dans le car. Les trois autres passagers sont obligés de mettre la main à la poche. Difficile de savoir combien chacun a donné.

A Toumodi, le tristement célèbre corridor sud sur lequel, dans un passé récent, des cars de transport de marchandises qui desservaient l’Hinterland, pouvaient s’aligner-là, sur au moins un kilomètre et y passer des heures, voire des jours, a été démantelé. Une passagère, heureuse de cette situation, pointe du doigt une baraque en ruines des FDS et raconte ses mésaventures à cet endroit, en Kôyaka, sous-groupe de la langue Malinké, parlé dans la région du Worodougou. Si le corridor-sud de Toumodi a été démantelé, il reste que la gendarmerie de la ville a trouvé le moyen de contourner la mesure.

 

Le racket a la peau dure

A moins d’un kilomètre dudit corridor, en effet, deux gendarmes ont levé un barrage discret et ignorent royalement les cars. Ils jettent leur dévolu sur les petits véhicules de transport en commun de cinq et neuf places. Trois véhicules Peugeot 504 sont stationnés là. Les conducteurs sont descendus et tiennent en main les pièces de leur véhicule. Le billet de 1000 FCFA que cache l’un d’entre eux sous la couverture de ses pièces, n’est pas très discret. A Moronou, un détachement de la brigade motorisée avait arrêté quelques minutes plus tôt le car. Le gendarme a hésité à faire le mouvement vers le véhicule avant de se résoudre à obtempérer.

« Normalement, ils ne devraient pas s’arrêter à un endroit fixe puisque ce sont des motards. Mais depuis que je voyage sur cette route, ils sont toujours ici », avait commenté notre voisin.

La police de Toumodi a, elle aussi, trouvé une parade pour contourner les mesures de réduction des barrages routiers. Elle a érigé un barrage en face du collège municipal. Les cars et les véhicules lourds de transport ne les intéressent pas. La police et la gendarmerie de la ville semblent s’être passé le mot.

11 H : nous sommes au corridor-sud de Yamoussoukro. Nous avons rallié la capitale administrative du pays en 2 heures 20 minutes. Une jeune passagère ne manque pas de manifester sa joie face à cette évolution du temps passé sur la route : « Avant, à l’heure ainsi, on était encore au corridor (sud) de Toumodi ».

Au corridor de Yamoussoukro, outre les gendarmes, les policiers et les douaniers, il y a des agents de la police des stupéfiants (plus connue sous le nom de police anti-drogue) et des Eaux et forêts. Le car y passe près de vingt minutes. Motif : le policier qui avait procédé au contrôle des identités des passagers a bloqué les pièces du chauffeur. Explication du policier : « Le chauffeur voulait démarrer avec moi ». Le conducteur, stoïque a dû lui faire comprendre que son seul souci était de bien garer. Après avoir laissé clairement entendre au conducteur qu’il souhaite qu’il lui remette 1000 FCFA et que ce dernier rétorque qu’il n’avait pas d’argent prévu à ce sujet, il a dû se résigner à « libérer » le car.

Les quatre personnes qui n’avaient pas de pièce d’identité ont dû encore descendre. Deux parmi elles ont soutenu avoir payé 500 FCFA chacune aux policiers.

 

« Au prochain barrage, je vous laisse »

A Zatta, le corridor des FDS a été déplacé. Il est désormais à un kilomètre du lieu où il était, il y a quelques mois. « Les villageois les ont chassés du premier corridor, raconte un passager, qui ne cache pas que l’information qu’il donne le rend heureux. Ils enceintaient les femmes des gens en désordre ».

Le policier qui procède au contrôle des identités est une vieille connaissance. Il nous salue et continue son travail. Il fait descendre trois passagers qui n’ont pas de pièces d’identité, l’élève n’ayant pas été inquiété. Notre voisin s’étonne qu’il ne laisse pas partir le car puisqu’il y avait une connaissance.

Un adjudant, particulièrement nerveux, n’entend pas laisser partir les personnes n’ayant pas de pièces d’identité, sans qu’ils ne fassent un geste. Pendant ce temps, un car arrive et est arrêté par un policier. Aucun agent ne daigne se diriger vers le conducteur. Il faut dire qu’il y a plus de véhicules arrêtés là que de policiers. Alors un agent, qui a un bandeau blanc au bras lance : « AMT là, les pièces ! ». Le conducteur du car de la compagnie AMT ignore l’ordre. Le policier finit par se diriger vers lui.

Après près de vingt minutes, les « sans papiers » sont libérés. Cela commence à énerver le conducteur qui lâche : « Au prochain barrage, je laisse tous ceux qui n’ont pas de pièces ».

La menace donne des idées à une « sans papier ». A l’entrée de Bonon, elle descend précipitamment du car avant que le policier y monte pour procéder à des contrôles d’identité. Il est 13 H. Nous trouvons à ce barrage un autre car de la compagnie GTI. Les passagers sont descendus du car. Certains parmi eux sont devant des douaniers, sacs de bagages entrouverts à leurs pieds. Le conducteur de l’autre car vient dire à son collègue qu’ils sont à ce barrage « depuis 11 H. Les douaniers veulent que je paye 2000 FCFA par voyageur. S’ils viennent vers toi, ne leur donne rien, sinon ça sera leur habitude ». Notre conducteur acquiesce. Un douanier vient en effet vers lui et déclare qu’il va procéder au contrôle des soutes à bagages et des sacs de voyage. C’est la nouvelle trouvaille sur certains barrages. Alors la passagère qui avait levé des cotisations plus tôt, se lève et descend du car. Elle se dirige résolument vers le poste de la douane et en revient quelques instants après. Un douanier, lance à notre conducteur : « Fermez les soutes à bagages vous allez partir. On a déjà vu ce qu’on devrait voir ».

Quand notre conducteur met son véhicule en marche, son collègue court vite vers lui et l’accuse de trahison. Lui, explique qu’il n’y est pour rien et nous prend à témoin. Nous expliquons à celui-ci que ce sont des femmes qui ont dû payer quelque chose aux douaniers. Ce qu’elles-mêmes confirment aussitôt. Cela ne le convainc pas. Qu’à cela ne tienne, nous quittons le corridor. L’apprenti chauffeur lance un juron et maudit les douaniers. « S’ils n’avaient pas bloqué l’autre car, on se serait croisé à Zatta ».

Nous avons perdu au total 23 minutes à ce barrage. A la sortie de la ville, un barrage policier ne s’intéresse pas à nous. Nous avons eu la même chance après Zatta. Un motard, seul, était arrêté dans un village et arrêtait des véhicules de transport.

 

Fourrière peu ordinaire

Il est un peu plus de 14 H quand nous arrivons au corridor d’entrée de Daloa. A ce barrage, en dépit du manque de pièce d’identité de deux passagers (la dame ayant repris sa même stratégie), le gendarme qui arrête notre car nous laisse partir. Nous en sommes surpris. Lors d’une conférence de presse, tenue la veille par l’Union nationale du patronat du transport de Côte d’Ivoire (UNPTCI), le secrétaire général Samassi Mossanifo, avait déclaré que Daloa, Issia et Yamoussoukro constituaient le triangle résistant au racket dans la partie gouvernementale du pays.

Cependant au corridor nord de Daloa, cette allégation s’est avérée fausse. Les douaniers particulièrement nerveux ont été très rapidement calmés par la passagère qui avait levé les cotisations.

A Daloa, selon des témoignages à notre retour de Séguéla, la gendarmerie se livre à du chantage sur des transporteurs. Ainsi, un car de la compagnie Soumahoro transport (ST) a été arrêté à ce barrage le 14 novembre dernier. Face au refus du conducteur de « rentrer dans le contexte », un gendarme dont nous taisons volontairement le nom a délivré une contravention au conducteur au motif de l’ « usure pneumatique » avant de laisser partir le véhicule sur Abidjan. Au moment où le représentant de la compagnie à Daloa s’apprêtait à aller retirer la carte grise, le gendarme aurait déchiré la contravention et lui aurait dit de se rendre à la Direction régionale des impôts pour payer la contravention. Dans ce service, les agents des impôts lui ont appris qu’il devrait payer 20.000 FCFA représentant la taxe pour une fourrière. Le représentant de ST a dû payer la somme pour pouvoir retirer la carte grise du véhicule. Le directeur régional saisi de l’affaire a confirmé que le procès-verbal de l’agent de sécurité mentionnait « fourrière » et que par ailleurs le même PV faisait savoir que le véhicule avait été conduit à la fourrière municipale.

Selon certains syndicalistes des transports de Daloa, les gendarmes de la ville utilisent souvent cette pratique pour les sanctionner de leur propension à ne plus « mouiller leur barbe ».

Au barrage de Modoguhé, le conducteur paye 2000 FCFA au barrage. Il n’a pas l’air de s’en plaindre. « Avant la guerre, on payait 20.000 FCFA à ce barrage », précise-t-il.

Un kilomètre plus tard, il y a un autre barrage. C’est le dernier de la zone gouvernementale. Il y a des gendarmes et des policiers anti-drogue.

 

15.000 FCFA pour la zone FN

A Bonoufla, c’est un barrage d’agents du Centre de commandement intégré (CCI) peu vigilants que nous traversons sans marquer de halte. En zone Forces nouvelles (FN), le premier poste désormais contrôlé par des hommes de Issiaka Ouattara alias Wattao (depuis la disgrâce de Zakaria Koné, aujourd’hui « sous contrôle » à Ouagadougou) est à Bahoulifla, peu après le fleuve Dé. Le char détruit avant le fleuve Dé montre bien que nous sommes en zone FN. Au check point des FN, le conducteur lui-même paye 2000 FCFA. 500 mètres plus loin, il prend un laissez-passer de 5000 FCFA frappé du sceau des FN. C’est la taxe officielle en zone FN pour les cars de transport en commun. Les 2000 FCFA constituent une taxe de stationnement. Les passagers, eux, ne sont soumis à aucun contrôle. Ce qui ne sera pas le cas à notre retour, deux jours après l’attaque sanglante de la prison civile de Séguéla par un commando pro-Zakaria. A l’entrée et à la sortie de Vavoua, le conducteur paye une « taxe de stationnement » de 3000 FCFA. Celle-ci s’élève à 2000 FCFA à l’entrée de Séguéla.

Il est 16 H 56 quand nous entrons en gare pendant que de gros camions chargés de fèves de cacao prenaient la direction du Burkina Faso. Nous avons mis au total 9 heures et 16 minutes pour parcourir une distance de 592 Kms facturée aujourd’hui à 8000 FCFA.

André Silver Konan

Envoyé spécial

 

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