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17 janvier 2015 6 17 /01 /janvier /2015 10:19

 

C’est un fait. De nombreux enfants disparaissent depuis des mois à Abidjan, et cela commence à bien faire. Depuis quelques semaines, je suis personnellement certaines affaires et je suis arrivé à une conclusion implacable: il existe à Abidjan un véritable réseau de pervers et de sadiques, qui menacent la sécurité de nos enfants, mais pas seulement. Dans ces affaires de disparition, nous les parents, sommes responsables, dans de nombreux cas. Explications et propositions.


Il y a quelques semaines, j’ai été saisi du cas d’un enfant disparu à Marcory. Avec des amis, nous avons mené une campagne sur les réseaux sociaux. Très vite, cette campagne a payé. Une dame qui avait recueilli le gamin, la veille, a vu les publications et a juste appelé le numéro affiché. L’enfant qui connaissait à peine son nom, encore moins celui de ses parents et leur lieu d’habitation, a pu ainsi retrouver les siens. Des explications fournies par la mère, il ressort que la veille, celui-ci avait suivi des élèves, à la sortie de l’école. Conclusion ? Les parents de l’enfant ont manqué de vigilance, puisque celui-ci n’aurait pas suivi d’autres élèves, si un adulte l’attendait à la sortie de l’école.

 

De la responsabilité des parents

 

Les histoires de ce genre sont légion, dans le cadre des disparitions d’enfants. La rubrique créée, il y a quatre ou cinq ans par la télévision ivoirienne (Rti), sur les enfants disparus qui recherchaient leurs parents, est l’une des preuves que les parents ont une nette responsabilité dans la disparition de leurs enfants. De mémoire de défenseur des droits des enfants, je n’ai pas encore eu connaissance d’un enfant enlevé alors qu’il était accompagné par un adulte.

Les parents  doivent donc changer radicalement de comportement, et  surveiller permanemment leurs enfants, comme cela se fait en Europe, sans toutefois verser dans la paranoïa. Oublions notre bonne vieille culture africaine de respect, à la limite mystique, pour “l’étranger”, et ne donnons l’occasion à personne de s’approcher de nos enfants. Bref. N’envoyons plus nos enfants acheter seuls de l’huile à la boutique, ne les laissons plus aller seuls à l’école ou jouer dans la rue... Surveillons nos enfants tout le temps et en tout lieu.

 

De la responsabilité de l’Etat

 

Ne nous y méprenons pas. Le phénomène de disparition des enfants ne date pas d’aujourd’hui. Si nous nous en émouvons aujourd’hui, c’est parce que les nouveaux médias offrent la possibilité à de nombreuses personnes d’être alertées. Cependant, le phénomène devient de plus en plus sérieux, surtout quand on reçoit des images insoutenables d’enfants atrocement mutilés, par des criminels obscurantistes (cybercriminels ou “brouteurs”, marabouts, trafiquants d’organes humains, etc.) La responsabilité de l’Etat est donc grande. Voilà pourquoi je fais ces trois propositions.

 

Proposition 1

Le ministère de la Solidarité, de la Famille, de la Femme et de l'Enfant pourrait initier une grande campagne de sensibilisation, à l’endroit des parents et des enfants. Cette campagne tournerait autour de la vigilance et de la responsabilité des parents, ainsi que de la prudence des enfants.

 

Proposition 2

Le ministère de l'Intérieur et de la Sécurité pourrait créer une unité spéciale de police chargée d’enquêter exclusivement sur les crimes contre les enfants, y compris les crimes sexuels contre mineurs. En France, il existe un Office central pour la répression des violences aux personnes (Ocrvp), chargé, entre autres, d’enquêter sur les violences sexuelles, les séquestrations et enlèvements.

En Côte d’Ivoire, une Unité spéciale de répression des violences aux enfants, pourrait être créée. Elle serait composée de policiers, de psychologues, de sociologues et d’assistants sociaux, qui enquêteraient sur les cas de disparition d’enfants. Il n’y a que des enquêtes coordonnées par des experts, qui pourraient très vite identifier les réseaux criminels qui sévissent en toute impunité.


Proposition 3

Le ministère de la Justice, des Droits de l'homme et des Libertés publiques pourrait spécialement confier la gestion des affaires de ce genre à des juges d’instruction et des procureurs formés dans ce sens. Le rôle de ces derniers ne se limiterait pas à la poursuite des criminels, ils devraient aussi poursuivre les parents d’enfants perdus (retrouvés ou non), coupables de négligence.


Il est vraiment temps que l’Etat affronte les criminels qui enlèvent et mutilent nos enfants dans son devoir régalien, mais il est aussi temps que nous, parents d’enfants, assumions notre responsabilité sociétale. Trop c’est trop !

 

André Silver Konan

Journaliste-écrivain

Source: Fraternité Matin

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31 août 2009 1 31 /08 /août /2009 17:23

Profusion de culture ancestrale en pleine capitale

Kaolin, « agbodjama » à satiété, chants de louange en langue, danse guerrière. Le jeudi 13 août  2009, la génération Tchagba de Bidjan Santé (village ébrié de la commune d’Attécoubé) a renoué avec une fête, le « Fatchué », vieille de plus de trois siècles. Reportage sur une culture captivante qui refuse de mourir.

Un tambour à la panse énorme comme un fût de 100 litres, peint en rouge, dont les sons percutants montent au ciel, dans une harmonie parfaite avec « l’alégnin », ces vers de louange chantés en ébrié (ou atchan) par des femmes en rangs serrés, respectant au centimètre près une chorégraphie uniforme. Ce sont les membres de la génération Tchagba de Bidjan-Agban, voisin de Bidjan Santé. Ils sont les premiers à faire leur entrée dans le village. Le protocole atchan a institué cela, car les fondateurs des deux villages étaient des cousins. Ils s’annoncent à l’unique voie d’accès du village (c’est ainsi dans presque tous les villages ébrié, qui ont gardé des plans de site pour rester en éveil face aux ennemis, mais aussi face aux assauts du colon). Il est un peu plus de 7H. En tête de la procession, se trouve le « taprognan-man » ou guerrier principal de la génération Tchagba de la classe d’âge (ou catégorie) Djéhou, le doyen des guerriers des  quatre classes d’âge. Le deuxième guerrier principal qui vient après lui est celui de la classe d’âge Dogba. Suivent ceux des classes d’âge Agban puis Assoukrou. « C’est la même classification dans tous les villages atchan », explique Eugène Ahouadja, pasteur de l’Eglise méthodiste unie et président du comité d’organisation.

Tous les « taprognan-man » sont suivis de près par des « taprognan-min » ou seconds combattants. Ils entraînent dans leur sillage des « nimpa-ahoui », entendez « ceux qui voient clairs », autrement dit ceux à qui on attribue des dons de double vision, nécessaires dans un combat mystique à distance. Les guerriers de ce jeudi matin sont reconnaissables par leur tenue d’apparat. Celle-ci n’a pas changé depuis la nuit des temps. Elle est faite en étoffe de couleur noire, avec des figurines, des bandes en rouge et des miroirs en forme de cercle de petit diamètre. Certains « taprognan-man » à l’exception des guerriers de la classe d’âge Assoukrou, trop jeunes pour la porter, arborent, le « n’wôwô », la mythique tenue guerrière faite en raphia et conçue suivant une technologie unique par des initiés du village de Bidjan-Anoumabo (commune de Marcory), seuls habilités à les fabriquer. Les guerriers dansent le « ani-taprognan », la danse guerrière. Qui est une chorégraphie envoûtante restée intacte depuis des générations, faite de petits pas saccadés d’une rare intensité et des gestes avec les mains surmontées de deux petits sabres, le tout dans un rythme endiablé qui allie transe individuelle ou collective, spectacle et férocité.

 

Unanimité politique

La procession conduite par les guerriers de Bidjan-Anoumabo suit celle de Bidjan-Locodjro et de  Bidjan-Thé, tous les deux faisant partie de la commune d’Attécoubé. Il est presque 9H et l’effervescence gagne le petit village hôte situé sur une plaine (position de défense stratégique pendant les temps ancestraux), séparé de la très moderne commune du Plateau par la lagune ébriée, limité au nord par l’autoroute du nord,  à l’est par la forêt du Banco et à l’ouest par Bidjan-Locodjro. Quand les guerriers des trois derniers villages (Adiopto I, Bidjan-Adjamé et Bidjan-Cocody) de la tribu Bidjan invités, finissent d’entraîner les foules nombreuses d’hommes et de femmes, badigeonnés de kaolin ou de talc, en tee-shirt « Fatchué 2009 » ou portant des pagnes tissés akan (grand groupe ethnique auxquels font partie les Ebrié) ou des tissus rouges autour de la hanche ; il est presque 11H.

« Autrefois, raconte Samuel Akpa, un Gnandô Agban du village de Bidjan-Anoumabo, le guerrier était choisi par les membres de sa classe d’âge pour son courage, sa force physique, sa puissance mystique. Aujourd’hui, nous n’en sommes plus là, puisqu’il n’y a plus de guerres tribales. Le guerrier aujourd’hui est choisi par les membres de sa classe d’âge, pour son éthique, son intégrité et sa probité morale, pour sa sagesse aussi, parce qu’il est appelé à être la lanterne, le représentant de toute une génération ».

A 11H, place à la cérémonie officielle. Elle ne dure pas plus d’une heure. Pendant ce temps, la fête continue de battre son plein dans le village. Les différentes artères du village sont bondées de femmes coiffées, portant des pagnes neufs, des jeunes filles badigeonnées de kaolin, des jeunes garçons qui au visage noirci, qui maquillé au kaolin, qui dansant au son d’une musique traditionnelle atchan diffusée dans tout le village par des haut-parleurs. La fête se passe aussi à l’école primaire du village où ont pris leur quartier, les guerriers des sept autres villages de la tribu Bidjan. La fête, c’est aussi et surtout la bière et le vin qui coulent à flot dans les cours, l’attiéké « agbodjama » à l’huile rouge accompagné de poisson de lagune frit ou cuit à la vapeur, servi gratuitement à qui veut manger dans des sortes de restos du cœur improvisés.

Le parrain du « Fatchué 2009 » se nomme Jean Félicien Gbamnan Djidan. Il est le maire (FPI, parti présidentiel) de Yopougon et natif de Kouté (village atchan de la commune de Yopougon). Le président de la cérémonie est Paulin Claude Danho, le maire (PDCI, parti d’opposition) de la commune d’Attécoubé, lui-même membre de la génération qui fait sa sortie officielle.  Le « Fatchué » transcende les clivages politiques. Ainsi, Pierre Djédji Amondji, le gouverneur (FPI) du district d’Abidjan prend-il place à côté de N’Koumo Mobio,  l’ancien maire (PDCI) de la ville d’Abidjan. Tous les deux sont des Atchans. Noël Akossy Bendjo, maire (PDCI) de la commune du Plateau, assis à côté de responsables locaux du Rassemblement des républicains (RDR d’Alassane Ouattara) et du Parti ivoirien des travailleurs (PIT de Francis Wodié), confie à un voisin européen que « le Fatchué est une fête qui regroupe l’ensemble des catégories d’une génération, qui permet de boucler un cycle. Logiquement, cette fête prépare à la prise du pouvoir de cette génération en pays atchan. Ce sont les Dougbô qui sont au pouvoir présentement. Les Tchagba vont devoir attendre un peu. Pour l’heure, ils sont admis à prendre la parole en assemblée. Ce sont des gens qui ont entre 40 et 50 ans ».

Pour sa part, le gouverneur Amondji ne cache pas sa fierté : « C’est une fête qui nous enracine dans nos valeurs du terroir atchan. Dieu a béni le peuple atchan en choisissant son site comme capitale de la Côte d’Ivoire, mais nous n’avons pas perdu les pieds et les pédales ».

Il a choisi à l’instar de presque tous les cadres, élus et fonctionnaires atchan qui assistent à la cérémonie d’ouverture, de s’habiller en chef akan : chaînes et bagues en or massif, pagne « kita » importé du royaume ashanti, royaume d’origine des Akan, sandales « abodjé », etc.

 

Les Tchagba à l’honneur

A midi, pendant que les officiels se retirent, des centaines d’Abidjanais affluent vers le village des « hommes récalcitrants » (traduction littérale de Santé), devenu le temps d’une journée, la capitale ivoirienne des cultures et valeurs ancestrales, récalcitrantes devant les assauts intempestifs des civilisations occidentales et des snobismes aveugles.

En milieu d’après-midi, commence la procession de la génération Tchagba de Bidjan-Santé, point d’orgue de la cérémonie initiatique. Quand Edouard Nandjui, le doyen des huit guerriers (principaux et seconds combattants)  de la génération, fait son entrée sur la place publique, on se croirait à un carnaval de mysticisme. Rien n’est moins sûr…

Cependant, chaque acteur joue bien son rôle, à la fois mystérieux et théâtral. Le « taprognan-man » a le visage masqué de charbon. Il retient entre les incisives bien serrées, un bout de branche qui en rajoute au mystère. Outre ses protecteurs aux torses nus, au corps badigeonnés de kaolin et portant des morceaux d’étoffes rouges aux hanches, se trouve dans le lot, une jeune femme, majestueuse dans son pagne traditionnel tissé, qui tient dans ses mains, un van et qui ramasse tous les objets (morceaux d’étoffe, fils de bonnet, etc.) que laisse tomber le guerrier.

La mise en scène est parfaite. La population, qui a pris d’assaut les deux côtés de la voie principale du village, regarde le spectacle, à la fois admirative et craintive. Parfois, elle applaudit et danse avec la procession. D’autres fois, elle observe la scène, dans un calme plat, les yeux rivés sur un « taprognan » qui fait son « show » avec ceux de sa classe d’âge.

Le spectacle est loin d’être une improvisation. Au cours de la danse guerrière, aucun faux pas n’est permis. Chaque membre de la génération connaît, en effet, par cœur, sa partition. Le samedi avant la fête, selon la coutume, est la date réelle du début de l’initiation. Le samedi 8 août donc, il y a eu une répétition générale et publique suivie et corrigée par les membres de la génération Dougbô, les aînés directs des Tchagba ainsi que par les doyens de la génération Gnandô. Ces derniers sont passés par le même rite initiatique, il y a quinze ans, pour les Dougbô et trente ans pour les Gnandô.  Dans quinze ans, les benjamins des quatre générations, à savoir les Blessoué, seront à leur tour à l’honneur.

En attendant, tous les membres de la génération Tchagba boucleront demain samedi, leur cycle initiatique par la sempiternelle cérémonie de lavage des pieds, qui rappelle la fameuse scène du lavage des pieds dans Le Nouveau Testament de la Bible. C’est la cérémonie de purification du corps par excellence, qui vient mettre un terme au « Fatchué ». Pour coller avec le temps et pour bien marquer que toute cette profusion de scènes mystiques, de chorégraphies de la terreur et de rites traditionnelles n’est rien d’autre que de la culture traditionnelle à l’état pur, tous les membres de la génération, animistes comme chrétiens, athées comme prosélytes, se retrouveront dimanche dans les trois temples du village (catholique, harriste et méthodiste unie) repeints pour la circonstance, pour des messes éclatées de purification des âmes.

André Silver Konan

 

 

Daniel Djoro Akédan (chargé de la communication du « Fatchué ») :

« Le  Fatchué va au-delà de l’instinct de conservation culturelle »

 

Daniel Djoro Akédan est le vice-président du comité d’organisation du « Fatchué » chargé de la communication. « Fils authentique de Bidjan Santé », comme il se définit lui-même, il a soutenu son mémoire de maîtrise sur la culture atchan. Prédicateur de l’Eglise méthodiste unie, il parle du « Fatchué » comme étant plus qu’une culture, un état d’être.

 

Quelle définition donnez-vous exactement au « Fatchué » ?

Le « Fatchué » est une cérémonie qui participe de l’égrégore, c’est-à-dire de toutes les forces surnaturelles positives, politiques, sociales et culturelles du peuple atchan. C’est une cérémonie initiatique à l’instar du Poro, chez nos frères sénoufo, qui marque le passage d’une étape à une autre dans la vie des jeunes filles et garçons des classes d’âge qui composent une génération. C’est le passage de l’adolescence à l’âge adulte, à l’âge de la maturité. A partir de cette cérémonie, ces hommes auront le droit de prendre la parole au cours des assemblées. Ils auront le droit de prendre part aux décisions du village. Cette cérémonie est aussi la synthèse de l’adhésion collective à une indication tendant à concentrer toutes les forces positives en un idéal commun : la préservation d’un pan du patrimoine culturel atchan, malgré l’urbanisation galopante. Ne dit-on pas que la culture est ce qui reste à un peuple qui a tout perdu ? Mais, au-delà de l’instinct de conservation culturelle, le « Fatchué » permet aux enfants d’un village de raffermir le sentiment d’appartenir à une seule et unique entité : le village.

 

Il nous est revenu que certaines personnes ont refusé de participer au « Fatchué » parce qu’elles soutiennent que son rituel participe de l’idolâtrie, toute chose qui est en contradiction avec leur foi chrétienne. Que savez-vous de ces actes d’idolâtrie que craignent ces personnes ?

Je confirme qu’effectivement deux ou trois personnes de notre génération ont refusé de participer à la fête sous le prétexte que vous évoquez. Mais, ces actes n’ont rien à voir avec notre foi chrétienne.  Si vous prenez la libation, c’est l’inhibition des mânes. Comme le dirait le professeur Zadi Zaourou, ce sont les « lega », les intermédiaires entre Dieu et nous, dans la cosmogonie africaine. Dans le livre des Nombres de la Bible, les fêtes de génération  ne sont pas proscrites. Jésus-Christ lui-même est passé par des étapes initiatiques telles la circoncision et la présentation du nouveau-né à l’Eglise. Il n’y a pas d’antinomie. On peut être chrétien et participer à la fête de génération parce que même les Juifs (le peuple élu de Dieu) ont leur tradition. Ils n’ont pas encore rejeté la Tora.

 

A quoi s’expose une personne qui refuse de participer au « Fatchué » ?

D’abord il faut savoir que personne n’est contraint de participer à la fête de génération.  Personne de ce fait n’est victime de représailles ou n’est banni du village. Cependant, la personne qui refuse d’y prendre part, pour schématiser, est comme une personne qui refuse de se faire identifier. De ce fait, l’assemblée des villageois ne connaît pas cette personne. Elle ne peut donc pas prendre la parole dans une assemblée. Elle ne peut donc pas, par exemple, bénéficier d’une parcelle de terrain villageois s’il y a des lots de terrains à distribuer.

Entretien réalisé par André Silver Konan

 

 

 

A savoir

 

Le nom Ebrié a été donné aux Tchaman par les Abouré qui étaient leurs adversaires dans les temps ancestraux. Etymologiquement, le mot signifie "les hommes charbon". Le nom Ebrié, pour les Abouré, avait une connotation péjorative. Pour une raison qui lui était propre, le colon a choisi ce nom plutôt que Tchaman comme eux-mêmes s’appelaient. Le singulier de Tchaman est Tchabio. L’appellation Tchaman tend aujourd’hui à disparaître, au profit de Atchan, qui à l’origine était une fatrie.

 

D’autres peuples célèbrent des fêtes de génération. C’est le cas par exemple des Akyé d’Adzopé, des Abouré de Moossou, des Adjoukrou de Dabou. Selon un document publié par l’ambassade de Côte d’Ivoire en Suisse, il y a au moins 40 fêtes traditionnelles dans notre pays. Les plus connues sont outre les fêtes de génération, les fêtes des ignames, l’Abissa (Grand-Bassam), le Dipri (Gomon et Yaobou), le Tchologo (Ferkessédougou), etc. Il existe d’autres fêtes comme la fête de fin de l’initiation des hommes panthères à Zoukougbeu (Daloa), la fête d’adoration du N’Zo à Beyepa (Guiglo), l’adoration du mont Kani à Séguélon (Odiénné), etc.

 

Nangui Abrogoua était le chef de tous les villages Bidjan. Ce que le colon a appelé chef de canton. Il était basé à Adjamé, lieu de rassemblement (sens étymologique). D’où la statue érigée en son honneur dans cette commune et le boulevard portant son nom. Il est né vers 1848 et est mort en 1938.

 

Le "Djidji ayokué" est un tam-tam parleur qui a une particularité : il possède des cordes. Ce tam-tam est aujourd’hui au musée de l’homme à Paris. Les Atchan ne manquent aucune occasion pour le réclamer. Le jeudi 13 août dernier, lors de la cérémonie officielle du "Fatchué", les organisateurs l’ont encore réclamé. Ce tam-tam parleur à cordes, à les en croire, était la hantise des colons. Ce serait l’un d’entre eux qui étant entré dans les bonnes grâces de Nangui Abrogoua, aurait réussi à tromper sa vigilance et à disparaître avec le précieux objet.

 

Les 27 villages atchan sont aujourd’hui administrés par les Dougbô. Ces derniers sont au pouvoir depuis ces années 2000. Après 15 ans (temps qui peut s’étendre jusqu’à 20 ans), les Dougbô vont laisser la place aux Tchagba. Tous les villages atchan comprennent 7 familles : Akouedoman, Atchadoman, Abromando, Gbodoman, Godouman, Fiedoman et Locomman.

 

Abidjan est une déformation de l'expression "Ein bidjan". Ce qui veut dire en langue atchan "je viens de couper les feuilles (pour servir l'attiéké)". Bidjan signifie le peuple d'Abidjan. Ce n'est pas le seul peuple akan qui porte le nom d'une plante. Chez les Baoulé, il y a les Agba. Agba signifie manioc en Baoulé.

Une sélection de ASK

 

 

 

L’Abbé Jean Baptiste Akouadan (premier prêtre ébrié) :

 

"Les fêtes de générations ne sont pas une adoration du diable"

 

 

L’Abbé Jean Baptiste Akouadan est le premier prêtre ébrié (atchan). Il est le recteur de la Cathédrale Saint Paul d’Abidjan Plateau et curé de la paroisse de la cathédrale. Dans le microcosme sacerdotal catholique ébrié, ses positions font autorité. Dans son vaste bureau sis à la cathédrale où traînent partout des livres chrétiens des plus petits aux plus volumineux, il ne finit pas de recevoir ses paroissiens, mais aussi des gens qu’il ne connaît pas, qui l’appellent pour prendre rendez-vous ou qui lui laissent un message sur un numéro qu’il rappelle toujours en vue de fixer un rendez-vous qu’il honore. Le lundi 17 août, quand il nous reçoit, le prêtre atchan ne s’arrête pas à la seule défense de la culture de son peuple. Il s’érige en défenseur de la culture africaine, au risque de donner dans la provocation face au manichéisme chrétien, quand il parle du "Poro" ou du vaudou. Interview.

 

Lors du lancement officiel de la fête de génération à Bidjan Santé, à Abidjan, certaines personnes appartenant à des classes d’âge concernées par la fête n’ont pas voulu y participer, avançant que certains rituels relèvent de l’idolâtrie et donc froissent leur foi chrétienne. Comment comprenez-vous la position de ces personnes ?

Nous, on a fait la fête de génération chez nous et on a jamais vécu ces éléments d’idolâtrie. C’est quoi l’idolâtrie ? C’est adorer d’autres éléments de la nature que Dieu seul. Je ne crois pas qu’en pays atchan, lorsqu’on participe aux fêtes de génération, on s’adonne à des pratiques d’idolâtrie. Voyez, c’est comme le "Poro". Le "Poro" est une manifestation de la maturité humaine après tout un temps de formation.

 

Il ne demeure pas moins que certains membres de la génération lors de ces fêtes, se vantent d’être des voyants, voire des sorciers.

Tout cela fait partie de la scène, du processus, je vous l’assure. C’est comme quand un médecin se met en blanc pour se soigner. Ne vous est-il jamais arrivé de vous demander pourquoi il ne se met pas en rouge ? C’est la même chose, c’est le processus.

 

Que dites-vous alors de la préparation mystique dont se targuent des guerriers ou des membres de la génération ?

Toute cela participe d’un événement purement culturel. Non, il n’y a pas de préparation mystique ou quoi que ce soit. Le peuple atchan est subdivisé en quatre grands groupes de quatre générations. Dans chaque groupe, lorsque la première classe d’âge est arrivée à maturité, elle célèbre sa fête de génération pour montrer au peuple qu’elle est capable de traiter des affaires du village. Quand les quatre classes d’âge font leur sortie année après année, il y a un temps où les quatre classes d’âge, ensemble font ce qu’on appelle le "Fatchué". C’est ce qui s’est passé à Bidjan Santé, pour rester dans l’exemple que vous avez pris. Le "Fatchué" est une manifestation qui sert à démontrer que le jeune ébrié est désormais capable de s’occuper des affaires du village. Maintenant, ça se passe sous forme de danse qui a des apparences mystique ou quelque chose de ce genre, mais un vieux m’a confié à Blockauss (village atchan de la commune de Cocody, Ndlr) que c’était des choses qu’il faisait consciemment pour faire croire aux gens qu’il y avait quelque chose. Par exemple, concernant le fait que les gens se lancent des pointes mystiques, il m’a expliqué qu’en fait, il avait les pointes en main et qu’à un moment donné, il les lance et les gens disent qu’on lui a lancé des pointes. Il s’agit de montrer qu’on détient une certaine puissance. Il y en a qui disent qu’ils voient un trou que le commun des mortels ne voit pas. Non, ce sont des choses purement physiques. C’est toute une ambiance de manifestation. Celui qui dit que les fêtes de génération, c’est pour adorer le démon, n’a rien compris. Les fêtes de génération ne sont pas une adoration du diable, non.

 

Pourquoi, selon vous, les chrétiens sont-ils divisés sur la question des fêtes traditionnelles ivoiriennes, notamment ?

Les chrétiens ont toujours été divisés sur cette question par pure ignorance des réalités culturelles. Quand je dis que je suis contre, est-ce que j’ai pris le temps d’étudier, d’essayer à comprendre le système, l’organisation, le phénomène ? Posez la question aux personnes qui disent être contre, demandez leur : Est-ce que vos savez ce que vous rejetez ? On ne peut rejeter une culture que lorsqu’on l’a étudiée, lorsqu’on la connaît et lorsqu’on est capable de dire tel élément de cette culture est bon, tel est négatif. Comment peut-on a priori rejeter de tout un peuple, son action culturelle ? Parce que vous faites bien de parler de fêtes traditionnelles ivoiriennes surtout qu’il n’y a pas que le peuple atchan. Je viens de la Grèce, où il y a un système culturel. C’est cela qui fait la philosophie d’un peuple. Les Africains, à force d’avoir renié leur propre culture et de refuser de l’approfondir, n’ont plus de philosophie. Les Grecs ont par exemple gardé leur mythologie grecque et cela a façonné leur pensée et leur vison du monde. Mais, regardez autour de vous, quels sont les peuples d’Afrique qui ont une vision du monde ? Les Bantou, peut-être. Au Bénin, des intellectuels essayent de creuser et d’approfondir cette culture qu’on appelle le vaudou. Il faut avoir le courage intellectuel de connaître avant de dire non. Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire parle de son identité. Mais, qu’est-ce qui fait l’identité ivoirienne ? Ce n’est certainement pas la Francité ni la Francophonie. Ce qui fait l’être baoulé, par exemple, il faut le trouver dans ses réflexions, ses mythes, ses contes. Aujourd’hui, quand vous regardez la télé, on vous parle de "mensonge d’un soir". Comment peut-on qualifier la philosophie de tout un peuple, de mensonge ? Moi, je m’inscris en faux.

 

Vous avez parlé de vaudou. L’on se souvient de cette affaire Béhanzin, du nom de ce prêtre vaudou autoproclamé converti selon lui au christianisme où il a été question de présumés sacrifices humains, du reste jamais prouvés. Vous dites que cela fait partie de la culture africaine. Mais comment expliquez-vous l’apologie du mal que fait cette culture ?

Faire le mal, c’est de tout temps ! Quand vous prenez la Bible, il y a l’histoire d’Abel et de Caën. Il y a l’histoire d’Adam et Eve qui ont été induits en erreur par le démon. Dieu n’a pas créé le mal mais l’homme s’est fabriqué le mal. Le mal existe. En Europe, quand on fabrique des armes et que des gens s’entretuent avec, c’est aussi le mal. Ce n’est pas parce que quelqu’un te dit "mystiquement, je vais te faire du mal", qu’automatiquement il y a le mal. Le mal, l’homme le fait exister à travers son agir. Il peut agir pour le bien comme pour le mal. Cela n’a rien à voir avec ce que j’appelle la mythologie des peuples, que d’autres appellent mystique. Dans certaines mythologies comme le vaudou, s’il y a des aspects où on cultive le mal, cela va contre les principes chrétiens. Le mal ne peut pas faire grandir le monde. Le Christ a dit "Aimez-vous les uns les autres. Faites du bien à ceux qui vous font du mal". Si le Christ lui-même l’a dit, c’est qu’il y en a qui vont travestir leur culture, en mal, dans leur agir. Mais, je le répète, le fondement d’une culture n’est jamais mal.

 

Croyez-vous à la sorcellerie ?

Est-ce que je crois à la sorcellerie ? Je crois à la manière humaine d’agir envers son prochain, de faire en sorte que les relations humaines soient bonnes ou négatives, d’une façon consciente. Le sorcier n’est pas esclave de la sorcellerie, il est conscient de ce qu’il fait à l’instar de celui qui vole ou de celle qui jette son enfant à la poubelle. Ceux-là aussi sont des sorciers. Saint Jean dit dans la Bible que celui qui n’aime pas est un sorcier. Quand quelqu’un par exemple n’aime pas sa femme et qu’il la fait souffrir même moralement, vis-à-vis de cette dernière, il est un sorcier. Le véritable sens de la sorcellerie, c’est l’anti-amour, l’anti-charité.

 

Que représente alors pour vous les mangeurs d’âme qui confessent eux-mêmes quasi quotidiennement dans des journaux ivoiriens, leur appartenance à des confréries de sorciers ?

Si vous connaissez l’histoire de l’humanité, vous savez que ses mangeurs d’âme et les sorciers, ce n’est pas seulement en Afrique. En France, vous avez des histoires de sorciers et de mangeurs d’âme.

 

Cela remonté à Jeanne d’Arc au 18e siècle…

Bien sûr que cela remonte à ce temps mais si c’est fini cela veut dire que cela a existé. Peut-être que quand notre intelect aura évolué dans la recherche pure des valeurs humaines, on ne parlera plus de mangeurs d’âme. Aujourd’hui, c’est une situation dans laquelle de nombreux Africains sont parce qu’ils sont sans connaissance et sont sans tout ce qu’il faut à l’homme pour s’épanouir. En fin de compte, ce sont des choses qu’il faut chercher à comprendre. On ne doit pas se baser sur le seul fait que des gens le confessent. En République Démocratique du Congo, des prêtres se sont mis à étudier ces phénomènes. Mais, dans notre pays, on ne sait pas encore ceux qui sont à la recherche de la connaissance profonde de cette philosophie négative qu’on cultive beaucoup en Afrique. Au demeurant, qu’est-ce qu’on appelle mangeur d’âme ? Qu’est-ce que l’Africian entend par le mot âme ? Si nous croyons que l’âme c’est ce qui fait que l’homme est à l’image de Dieu, alors la question que je me pose est : qui est capable de manger l’image de Dieu ? Certainement pas l’homme parce que l’âme est la parcelle divine qui est en l’homme.

 

Il est écrit dans la Bible qu’un royaume qui lutte contre lui-même court à son auto-destruction pour dire que le diable ne saurait se battre contre lui-même. Comment alors appréciez-vous ces histoires d’exorcistes (qualifiés par certains chrétiens de suppôts du diable) qui disent démasquer et délivrer des sorciers ?

Vous savez, on a des exorcistes à l’Eglise catholique. Un exorciste italien nommé par le Saint Père (le Pape, Ndlr) a dit que de tout temps qu’il a exercé son ministère d’exorciste, il ne s’est jamais présenté de cas diabolique, si ce n’est une seule fois où il a été en face d’une possession diabolique de satan sur un homme. Ça, c’est extraordinaire. Le ministère de l’exorcisme, ce n’est pas contre des esprits mais contre le chef des démons qu’on appelle satan ou beelzébul ou diable. Quand on nomme un exorciste, c’est principalement pour cela. Les autres charges qui interviennent au cours de ce ministère, ce sont des charges de réhabilitation de l’être humain dans son équilibre total. Ce qui arrive, c’est que l’être humain, ne se connaissant pas, est totalement désaxé en lui-même et on dit qu’il a des esprits, qu’il est possédé. L’exorciste a donc pour rôle de contre carrer l’action de satan qui envoie ses suppôts, ses mauvais anges pour empêcher l’homme d’agir dans le bon sens en vue de devenir son être, c’est-à-dire un enfant de Dieu véritable. Pour ce qui concerne les gens qui se targuent de démasquer les sorciers, il faut lire Saint Paul qui dit que ce n’est pas aux hommes qu’on a affaire mais on a affaire aux principautés, aux esprits malins qui pullulent les cieux. S’ils en ont les moyens, les capacités, c’est tant mieux. Mais en ce qui concerne l’Eglise catholique, c’est l’évêque seul qui peut nommer un exorciste. Dans notre diocèse, il y a l’abbé Abolou, notre moine et l’abbé Abékan qui ont été nommés exorcistes. Et je puis vous révéler que depuis qu’ils exercent, ils n’ont jamais vu le cas d’un homme qui a été possédé par satan mais des cas de personnes désaxées qui ont des problèmes, des blessures intérieures, etc.

 

Au titre des problèmes, figure en bonne place, avons-nous appris, les histoires de "mari de nuit". Quel est votre appréciation de ces histoires qui sont un véritable problème de société ?

Je pense que c’est parce qu’on manque de connaissance dans ces affaires qu’on soutient ces histoires. L’homme ne se connaît pas lui-même. La femme qui dit être victime d’un "mari de nuit" pense que c’est quelqu’un d’extérieur, invisible qui vient la visiter la nuit. C’est une impression. En fait c’est quelque chose qui se passe en elle. Tout ce qu’elle vit, tout ce qu’elle souffre, toutes ses blessures, ses frustrations etc, se personnalisent, se transforment dans une sorte d’entité réelle c’est ce qu disent les grands psychologues. Ainsi a-t-elle l’impression d’avoir eu de réelles relations sexuelles puisque parfois cela se passe ainsi. Mais est-ce quelqu’un qui est venu vous faire l’amour pendant que vous dormiez ou est-ce la satisfaction inconsciente d’un problème qu’on ne peut pas résoudre ? La réponse à ces questions demande beaucoup d’étude. Nous, Africains sommes tellement paresseux qu’on ne cherche pas à savoir, préférant donner dans ce genre de croyances. Ce qui nous empêche de chercher à savoir. Je vais vous donner un exemple pratique. Un Européen verra un coin de la lagune qui bout. Il va dire qu’il y a du sable mouvant et que quiconque s’aventure là sera aspiré. Un Africain qui n’est pas un intellectuel poussé, passera et va voir ce même coin de la lagune bouillir et va décréter qu’il y a un génie. Il va y faire des sacrifices sans chercher à savoir ce que c’est. Nous ne mettons pas notre intelligence à l’épreuve pour trouver des solutions.

 

Interview réalisée par

André Silver Konan

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17 octobre 2008 5 17 /10 /octobre /2008 19:53

Les victimes oubliées de l’endosulfan crient au secours



Plus de quarante jours après la découverte de produits toxiques à M’Bahiakro (430 Kms au nord d’Abidjan), des populations intoxiquées continuent de partager leur quotidien avec ces produits qui ont déjà causé l’intoxication d’au moins 320 personnes.

Le magasin du forgeron est situé au quartier Représentant, non loin du siège du conseil général du département, sur la voie nationale Abidjan-Bouaké. Deux gamins poussant des brouettes chargées de marmites et de houes nouvellement fabriquées dans la forge ; non loin de là, entrent dans le magasin. Ils déchargent les ustensiles et les outils dans le magasin et ressortent en riant. Un troisième arrive avec plusieurs casseroles dans la main. Les ustensiles tombent de ses mains, devant le magasin, sur du sable mélangé à du charbon. Ce jeudi 9 octobre 2008, on a du mal à déceler un soupçon de substances nocives à cet endroit précis où des ustensiles qui se retrouveront dans quelques jours dans des cuisines de certaines ménagères, sont tombés. Et pourtant, à cet endroit précis, c'est-à-dire devant le magasin du forgeron, là où le sable a été mélangé au charbon, des substances nocives ont été répandues par inadvertance par le forgeron. Aujourd’hui, ce dernier se trouve en prison. Il a été arrêté par la gendarmerie dans le cadre de ce qu’il est convenu d’appeler « l’affaire déchets toxiques de M’Bahiakro ». Son magasin devrait être fermé. Cependant, il est ouvert.

« Il faut bien qu’on mange », lance un apprenti forgeron à une équipe de la mairie qui insiste pour dire que l’endroit est sinistré et qu’il ne faut pas y mener des activités.

 

« Où allons-nous partir ?»

L’endroit a été en effet ceinturé par la mairie sur ordre du comité de crise dirigé par le préfet du département Julien Gueu N’Gbe et le magasin a été fermé par un cadenas. Le cadenas a sauté, la ceinture est violée. Le comité de crise impuissant, regarde faire.

« Qu’est-ce que nous pouvons y faire ?, lâche un employé de la préfecture qui parle sous couvert de l’anonymat. Nous avons demandé aux gens de quitter les lieux mais nous avons conscience que c’est un vœu pieu. Nous n’avons pas de moyens pour reloger les sinistrés et eux, n’ont pas les moyens pour aller ailleurs ».

Pas de moyens. Les populations sont donc obligées de vivre avec les substances toxiques. Et elles continuent de passer sur la ruelle qui rallie la voie nationale à N’Gattakro, un quartier de la commune où on sent encore l’odeur que dégagent les substances nocives. La voie a été déclarée interdite à la circulation. La pancarte « Attention, route barrée » avec le signe du danger de mort est bien visible.

Bernadette Tanoh Aya, mère de quatre enfants, sans emploi réside au quartier N’Gattakro. Elle fait partie des premières personnes intoxiquées. Chaque jour, elle passe sur cette voie interdite à la circulation.

« Le docteur m’a dit : « si vous continuez de vivre dans les produits, vous ne serez jamais guérie ». C’est vrai ce qu’il dit mais où allons-nous partir ? ».

La résignation semble donc être la chose la mieux partagée par les populations riveraines des trois sites où ont été découvertes les substances toxiques.

 

Odeurs de déchets toxiques dans la ville

Nous sommes le mardi 26 août 2008. Au quartier Koko 1. Des odeurs insoutenables attirent l’attention d’un nombre de personnes qui participent à des funérailles. Celles-ci découvrent que les odeurs proviennent d’un liquide répandu sur le sol près d’un dépotoir. La rumeur assimile ce liquide aux déchets toxiques et mortels, déversés dans la capitale économique, à Abidjan, en août 2006 et qui dégageaient de très fortes odeurs. Très vite, l’information parvient au maire de la commune Delphin Kouadio Kpli Kouassi. Ce dernier se rend sur les lieux avec le directeur départemental de la santé André Goh. Le même jour, le maire écrit au préfet pour lui demander de « prendre ou (de) faire prendre des dispositions pour informer les autorités compétentes ».

Deux jours après, la gendarmerie saisie par le maire, découvre un fût abandonné dans la broussaille près d’une ruelle qui rallie la voie nationale au quartier N’Gattakro. Le fût dégage les mêmes odeurs senties à Koko 1. Les mêmes odeurs sont senties devant le magasin du forgeron, non loin de là.

La gendarmerie pousse ses investigations et découvre que le fût abandonné à séjourné d’une part devant le magasin du forgeron et que d’autre part, il provient d’une sorte de silo abandonné par la Compagnie ivoirienne du développement du textile (CIDT) lors de son déménagement de M’Bahiakro, il y a au moins une dizaine d’années. Le fût est ramené à l’entrepôt. La gendarmerie découvre que les six fûts qui y étaient stockés n’y sont plus.

 

320 intoxiquées, réaction tardive

Une semaine après la découverte du premier foyer, les personnes souffrant de maux divers (irritation des yeux, palpitations, douleurs à la gorge, toux, céphalées, irruption cutanées…) se succèdent à l’hôpital général. Au 10 septembre, le directeur départemental de la santé déclare que l’hôpital général de la ville a déjà reçu en consultation 80 personnes qui soutiennent être des intoxiquées. Au 22 septembre, le chiffre grimpe. 320 personnes consultées.

La réaction des structures compétentes nationales n’a pas été prompte. L’Office national de la protection civile (ONPC) est arrivé dans la ville le mercredi 10 septembre 2008. Deux semaines après la découverte du premier foyer. L’ONPC est une structure étatique. Elle a pour missions entre autres « l’organisation et la coordination des activités de secours d’urgence en cas d’accidents, de sinistres, de catastrophes naturelles et technologiques ; l’élaboration et la réalisation des plans de secours ; l’organisation et la coordination des opérations de secours dans le cadre de l’action humanitaire ».

L’équipe de l’ONPC visite les sites contaminés et détermine la nature des substances. Au quartier Koko 1, l’ONPC détecte la présence de méthane et de l’oxyde de carbone. Ce sont les mêmes substances qui sont retrouvés devant le magasin du forgeron. Le fût contient, outre ces deux éléments, de l’hydrogène sulfureux. Dans l’entrepôt abandonné de la CIDT, l’on retrouve du méthane et de l’hydrogène sulfureux.

 

Substances toxiques

Si dans un premier temps, le directeur de la santé a conseillé le calme à la population car, la substance répandue sur le sol n’était pas, selon lui, des déchets toxiques d’Abidjan, l’ONPC, après analyse conclue que « la combinaison des trois gaz (hydrogène sulfureux, méthane, oxyde de carbone) peut être toxique ».

La conclusion à la quelle aboutit quelques jours plus tard, le Centre ivoirien anti pollution (CIAPOL) arrivé près d’un mois après la découverte des substances, à M’Bahiakro est quant à elle, plus précise : le produit originel de l’entrepôt abandonné est de l’endosulfan. C’est un dangereux pesticide utilisé jadis pour tuer insectes et rongeurs qui dévastaient le coton. Pour son action très nocive, les planteurs l’avaient baptisé « Caïman », en comparaison à la bile de caïman qui est un poison mortel. L’endosulfan, du fait de sa nocivité, est depuis quelques années interdit à l’utilisation et à la commercialisation en Côte d’Ivoire.

Quarante jours après la découverte des produits, au moment de notre passage dans la localité, rien ne présageait que les structures étatiques compétentes allaient procéder à la décontamination des sites.

« Qu’on nous aide ! »

C’est pourtant l’obsession des populations qui vivent à proximité des sites contaminés et qui soutiennent qu’elles ne savent pas où aller. « Mon souhait, c’est que les autorités viennent enlever ces produits. Jusqu’à présent, ça continue de sentir. Quand il pleut, ça sent encore plus fort. J’ai peur parce que je ne sais pas si mon mal va s’aggraver bien que je n’ai plus assez mal depuis que l’hôpital a envoyé des médicaments et que la mairie a payé ceux que je devrais payer à la pharmacie », déclare Bernadette Tanoh Aya.

La préoccupation de cette victime est identique à celle de Fanta Sangaré, sexagénaire, commerçante au marché, victime du quartier Représentant. « Cela fait plus d’un mois que nous respirons cette odeur. Je dois avouer qu’aujourd’hui (jeudi 9 octobre 2008, ndlr) les palpitations et le mal de gorge que j’avais après avoir pris les médicaments offerts aux victimes à l’hôpital et payé l’ordonnance prescrit par le médecin, ont diminué. Mais, j’implore les autorités afin qu’elles viennent enlever les produits pour qu’on respire mieux ».

Eugène Kouassi Konan, 39 ans, calligraphe au quartier Représentant va plus loin. Il demande que l’Etat songe au dédommagement des victimes « comme il l’a fait pour les victimes des déchets toxiques d’Abidjan ».

En attendant, trois personnes ont été interpellées par la gendarmerie dans le cadre de cette affaire. Il s’agit du forgeron cité plus haut et de deux ferronniers qui ont un atelier au quartier Koko 1. L’affaire est en instruction chez le procureur de M’Bahiakro. Le commandant de brigade Bamba Vassey, qui nous a reçu dans son bureau lors de notre passage dans la ville a confirmé l’information. Il n’a pas souhaité en dire plus.

De sources recoupées, le fût retrouvé au quartier N’Gattakro aurait séjourné dans un premier temps au domicile des deux ferronniers arrêtées. C’est par la suite qu’il a « atterri » à l’endroit où la gendarmerie l’a découvert. La gendarmerie soupçonne ces deux personnes d’avoir des informations précises sur les conditions dans lesquelles le (s) fût (s) contenant les substances toxiques ont quitté l’entrepôt abandonné de la CIDT pour se retrouver en ville. Quant au forgeron, (pour lequel un fût en métal constitue un matériau à l’instar des ferronniers), toujours selon nos sources, la gendarmerie n’aurait pas grand’chose à lui reprocher mais il est détenu pour nécessités d’enquêtes.

Toujours de bonnes sources, le CIAPOL s’apprête pour la décontamination des sites et l’enlèvement des substances chimiques. Cette structure refuse cependant de donner une date précise.

André Silver Konan

Envoyé spécial à M’Bahiakro

 

 

Qu’est-ce que l’endosulfan ?

Selon le dictionnaire encyclopédique en ligne Wikipédia, « L' endosulfan est une substance active de produit phytosanitaire (ou produit phytopharmaceutique, ou pesticide), qui présente un effet insecticide, et qui appartient à la famille chimique des organochlorés ». Wikipedia définit l’endosulfan comme « dangereux pour l’environnement, toxique par contact avec la peau et par ingestion, irritant pour les yeux, très toxique pour les organismes aquatiques, peut entraîner des effets néfastes à long terme pour l'environnement aquatique ».

L’endosulfan est interdite dans l’Union européenne depuis le 2 décembre 2005. En France, cette substance est interdite à la commercialisation et à l’utilisation. En France, la décision d’interdiction a été officiellement publiée dans le journal officiel le 22 février 2006.

Au Bénin où un cas de décès a été signalé en 1999 (Pesticides ans alternatives, premier trimestre 2000, PAN-Afrique Dakar), le produit a été interdit cette année. Le pays est en effet en retard sur l’application de l’interdiction contrairement à certains pays comme la Côte d’Ivoire. Le communiqué du conseil des ministres en date du 6 février 2006 fait savoir qu’il y a eu « un compte rendu du ministre de l'Agriculture, de l'Elevage et de la Pêche relatif à la mission d’information sur les programmes de traitement du coton au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire et au Mali et les dispositions pratiques pour l’utilisation de l’endosulfan et de produits alternatifs au Bénin ». Le communiqué précise qu’ « en approuvant ce compte rendu, le Conseil a décidé d’interdire l’utilisation de l’endosulfan pour les prochaines campagnes agricoles au Bénin, à l’instar de plusieurs autres pays de la sous région ouest africaine. Il sera substitué à ce produit insecticide particulièrement dangereux et nocif pour la santé et l’environnement, des produits alternatifs, tel que le TIHAN ».

En Côte d’Ivoire l’endosulfan était tant connu pour sa nocivité sur la santé de l’homme qu’il a été baptisé par les planteurs de coton « Caïman ».

Enterré, ce pesticide peut contaminer la nappe phréatique. C’est la raison pour laquelle la CIDT dans son déménagement l’a laissé dans des fûts eux-mêmes entreposés dans une sorte de silo hermétiquement fermé.

ASK

 

 

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