« Votre grand tort, c’est bien votre incompétence et votre manque de vision pour ce pays »
Bonjour monsieur le Président
Avant tout, permettez-moi de lever toute équivoque. Cette lettre, elle est adressée au chef de l’Etat et non au Président de la République. Pour moi, depuis le 26 octobre 2005, date de la fin constitutionnelle de votre quinquennat, du reste ensanglanté, vous n’êtes plus président de la République. Vous êtes un assimilé de fait, donc un chef d’Etat. Pour moi, depuis le 26 octobre 2005, vous n’avez plus avec vous la légalité encore moins la légitimité que vous n’avez d’ailleurs jamais eue, de par votre élection parfaitement calamiteuse. Cependant, je vous appelle président, ce qui n’est pas dans mes habitudes, parce que pendant cinq ans vous avez rempli les fonctions inhérentes à ce poste, certes de façon hasardeuse, mais vous les avez remplies quand même. De ce fait, vous gardez le titre mais pas la fonction. Je vous appelle monsieur le Président comme j’appellerais d’autres monsieur le ministre alors qu’ils ne sont plus en fonction.
Monsieur le Président,
Ceci est la première lettre ouverte que je vous adresse depuis que l’implacable destin vous a placé à la tête de ce pays et depuis que mon destin personnel m’a appelé à exercer ce métier pendant votre mandat, je le répète, parsemé de sang. C’est franchement avec le cœur en peine, la gorge nouée et l’âme affligée que je m’emploie à vous écrire. Oui, j’ai l’âme affligée d’un jeune homme désemparé par l’autorité pernicieuse de son géniteur et qui se voit dans l’absolue obligation de parler. Pour se libérer. N’est-ce pas que "la parole libère" ? Même si, vous avez lancé cette phrase, comme tant d’autres pour amuser la galerie, moi, je crois effectivement que "la parole libère". Ce qui est différent de "la parole est libérée", un autre slogan totalement vaseux qui a pour mérite d’endormir d’honnêtes gens. Antoine Assalé Tiémoko a cru, naïvement, que la parole était libérée sous votre règne. Il en a eu pour son compte. On peut dire qu’il a eu beaucoup plus de chance. Les exemples sont à profusion. Qui prouvent que votre fameuse "parole libérée" est un appât pour attirer dans les abîmes de la prison, de l’exil, de la déchéance… de la mort, d’honnêtes et paisibles gens. "La parole est libérée". Le colonel Jules Yao Yao a dit qu’un complot sorti tout droit d’un laboratoire bleu était une "connerie" et cela l’a conduit au limogeage puis à la bastonnade enfin à l’exil. Rien qu’une parole. Jean Hélène croyait que la parole était libérée. Il attendait tranquillement que des militants de l’opposition soient libérés pour leur donner la parole et il a été tué, froidement, par un policier, présenté à la télé nationale et dans les journaux proches de vous, comme un héros accompli. Les exemples sont légion. Je vais m’arrêter à ceux-là puisque ce n’est pas l’objet de ma lettre.
Monsieur le Président
Autant vous le dire sans passer par quatre chemins. Vous me décevez. Votre dernière sortie au palais de la présidence, à la fin de la bien inutile cérémonie de présentation des vœux, m’a définitivement convaincu que vous n’avez aucune aptitude à diriger un Etat. En terme plus clair et plus précis, vous êtes incompétent. Je vais vous dire pourquoi, si vous-même ne le savez déjà. Pour vous le prouver, je vais prendre quelques exemples dans la vie de tous les jours.
Comme vous êtes un enseignant, je prends l’exemple d’un enseignant d’université dans un amphithéâtre. L’enseignant arrive dans l’amphithéâtre pour dispenser son cours. Mais les étudiants bavardent, certains jouent au poker, d’autres regardent une revue pornographique et se marrent. L’enseignant se dit : « Ce n’est pas mon rôle de faire ramener le calme dans l’amphi. Mon rôle à moi, c’est de donner mon cours ». Alors, il se mit à lire son cours dans le brouhaha de l’amphithéâtre. Bien que personne ne l’écoute, il continue quand même son cours jusqu’à ce que son heure arrive à son terme. Puis il s’en va. Tranquille. Avec la conscience tranquille de l’enseignant qui a fait son devoir. Il ne pouvait pas savoir qu’il était un enseignant inconscient qui n’avait aucun sens de la pédagogie.
Il y a un autre exemple. Celui d’un gynécologue qu’une jeune femme est allée consulter pour se faire opérer d’un kyste ovarien. Au cours de l’opération, il découvre un fibrome dans l’utérus. Le gynécologue se dit : « Je n’ai pas été approché pour un fibrome, mais pour un kyste. Alors j’enlève uniquement le kyste. Le fibrome, ce n’est pas mon problème ». A la fin de l’opération, il est tranquille. Avec la conscience tranquille d’un gynécologue compétent. Il ne pouvait pas se douter qu’il était un gynécologue douteux qui n’avait aucune conscience professionnelle.
Les exemples ici aussi peuvent se multiplier.
Vous êtes exactement comme l’enseignant d’université ou le médecin gynécologue. Vous êtes exactement comme eux quand vous dites que les voleurs de la république ce n’est pas votre rôle « de les mettre en garde ». Vous êtes exactement comme l’enseignant d’université ou le médecin gynécologue quand vous dites que parce que vous n’avez jamais présenté de concours, vous vous en fichiez pas mal de ce qu’il y ait corruption. Vous êtes exactement comme eux quand vous répétez que la pagaille dans la filière café-cacao, ce n’est pas votre problème parce que vous vous contentez de toucher au port votre Droit unique de sortie (DUS) sur ces deux produits. Décevant pour un chef d’Etat. Cela dénote non seulement d’une criante incompétence, mais d’un manque notoire de vision. Vision politique, vision économique, vision sociale. Je vais m’attarder sur le cas précis de votre position sur la gestion de la filière café-cacao afin de vous prouver que vous explosez d’incompétences. La première fois que vous avez dit cela, c’était encore au cours d’une interview télévisée, il y a quatre mois. Quand vous avez sorti cette énormité, passé le moment de la surprise, je me suis dit que vous l’avez balancé, sans trop y penser. Vous conviendrez avec moi que vous sortez énormément de choses de ce genre. Mais en le répétant quatre mois après, vous marquez clairement que cela est votre intime conviction et votre inébranlable position.
Voyez-vous monsieur le Président, vous ne vous êtes jamais dit qu’un peu d’ordre dans la filière café-cacao pourrait accroître vos fameux DUS. Et pourtant, c’est simple. J’ignore qui est votre conseiller en matières premières, mais je m’en vais vous apprendre que si les planteurs étaient mieux organisés, ils auraient pu facilement avoir accès aux banques. Ils songeraient à mieux renforcer leurs capacités par la formation. Ils sauraient par exemple que ce n’est pas le sacrifice d’un cabri noir dans une plantation qui accroît la production, mais les engrais et les insecticides. Ils pourraient emprunter pour créer d’autres parcelles de champs et accroîtraient ainsi leurs productions. Conséquemment, la production qui arriverait au port serait plus importante que celle actuelle et vos fameux droits uniques de sortie seraient plus importants que ceux que vous percevez aujourd’hui. C’est aussi simple que cela. Vous ne le savez pas parce que vous êtes comme l’enseignant d’université ou le médecin gynécologue cités en exemple plus haut. Mais, si vous ne savez pas ces choses si simples, vous avez absolument tort. Et votre plus grand tort, c’est bien, je le répète, votre incompétence et votre manque de vision pour ce pays. C’est votre incompétence qui vous a fait dire que vous étiez capable de payer au planteur de cacao, son produit à 3000 Fcfa le kilogramme. C’est cette incompétence qui vous a fait dire que vous donneriez un milliard à chaque département, que vous construiriez des hôpitaux à chaque 5kms de route. Vous n’avez jamais pu transformer ces promesses d’opposant en réalité. C’est votre incompétence qui vous a fait dire aux populations de Jacqueville, depuis 2007 que vous construiriez un pont pour eux « avant la fin de l’année ». Ce qui n’a jamais été fait. C’est bien parce que vous êtes incompétent, que vous manquez de vision pour ce pays que vous distribuez, sous-préfectures et départements à tour de bras, sans vous soucier des infrastructures préalables qui doivent précéder ces administrations.
Monsieur le président,
Je vais m’arrêter là pour aujourd’hui. Avant de vous quitter, sachez que désormais, je ne vous laisserai plus dire et faire des choses sans réagir. Dans ces mêmes colonnes, je m’emploierai à vous renvoyer l’image presque jamais reluisante de votre règne. Sachez-le dès maintenant. A partir d’aujourd’hui, je serai votre impitoyable censeur.
A bientôt donc.
André Silver Konan